Ce blog est le support de la "recherche action" menée par la Fédération nationale de l'agriculture biologique depuis 2011, par et pour les paysans bio, pour penser et proposer les modèles conceptuels d'une "nouvelle économie de l'AB" en action.

vendredi 4 octobre 2013

une action publique capable de reconnaitre le bien commun à partir des intérêts privés?

Le projet de la "nouvelle économie bio" (termes en débat) est celui de l'organisation économique de producteurs qui cherchent à dépasser leurs intérêts privés pour celui, collectif, de la profession d'agrobiologiste et celui, général, de sujets de bien commun (territoires, environnement, alimentation etc.). De fait, ce projet croise la sphère des politiques publiques et des dispositions qu'elle peut prendre pour soutenir l'action des acteurs de terrain. On peut ainsi mettre en perspective les futurs GIEE (groupements d'intérêts économiques et environnementaux) reconnus dans la future loi d'avenir de l'agriculture et actuellement débattus au ministère de l'agriculture.

En quoi les producteurs bio sont concernés par cette action? en quoi renforcerait-elle le projet de la nouvelle économie bio? en quoi représente t-elle une action publique à la hauteur des enjeux de la transition écologique des pratiques agricoles qu'elle est censée faire advenir?

Sans entrer dans les détails de ce dispositif somme toute très simple (des paysans se regroupent dans un projet de double performance économique et environnementale labellisé par l'Etat et ouvrant droit à des bonifications d'aides et un conseil ad hoc), nous pouvons relever qu'il procède d'une volonté de déblocage du cadre institutionnel agricole sur ces sujets à partir de la volonté générale exprimés par des acteurs de terrain, pourtant acteurs économiques censés maximiser leurs intérêts personnels.

Cet exemple  fait largement écho à l'analyse du sociologue Bruno Latour (ci-dessus) sur le besoin d'une "modernité renouvelée" de l'action publique en France. Citation: "Les Français ont, chevillée au corps, cette idée que l'Etat est la sphère à l'intérieur de laquelle tout doit ou peut se régler. Cela n'est pas forcément faux. Mais alors il faudrait équiper l'Etat pour qu'il puisse expérimenter et produire la volonté générale, et non qu'il se contente de la présupposer. Si on prétend connaître à l'avance la différence entre les intérêts privés et le bien public, on n'arrivera à rien. Cette différence, il faut l'explorer, et c'est affreusement difficile".

Les GIEE devraient bien représenter cet "instrument de palpation de la volonté générale" dont l'Etat se dote pour penser et organiser la mobilisation des acteurs dans la transition écologique. Pourront-ils être instruits et relayés au sein de l'Etat et des instances de co-gestion existantes en gardant cet objectif de transition?

Bruno Latour, sur un plan plus général, s'interroge sur le décalage entre la gravité des problèmes environnementaux  et la prise de conscience publique de ces questions: "En France s'était créée une association merveilleuse entre la confiance dans la science, l'esprit républicain et l'idée de modernisation. le sentiment général qui prévaut est donc que "ça va s'arranger et que, de toute manière, on n'a pas d'autre modèle"."

L'exercice "affreusement difficile" de produire du bien commun à partir d'intérêts privés dépend donc d'un nouveau paradigme d'action publique associant nouveaux acteurs (dont la société civile) et nouvelles procédures (dont moyens de l'expérimentation et moyens de l'accompagnement par les sciences sociales). C'est bien, par analogie, le but de cette recherche action avec les producteurs bio. Espérons que le cadre des futurs GIEE laissera la place à cette "modernité retrouvée" qu'appelle de ses voeux le sociologue dans l'organisation de l'Etat face à la situation révolutionnaire de traiter l'urgence écologique.
julien Adda

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